Une fillette fait un tour de chant lors d’un spectacle présenté au Mangyongdae Children’s Palace, à Pyongyang.
Aller en Corée du Nord, c’est accepter de renoncer temporairement à sa liberté. Accepter de ne pouvoir se déplacer sans escorte et accepter, sans broncher, tout changement apporté à l’itinéraire. La visite de l’aciérie est annulée? Ok. Le mausolée où repose Kim Il-sung est fermé parce qu’on y installe le corps de Kim Jong-il? Soit. On ne peut retourner en Chine en train parce que des inondations ont endommagé la voie ferrée? Vraiment?!
Mélange de fascination et de désorientation, ce récit se veut un complément à l’article paru le 15 septembre dernier dans La Presse (version papier seulement).
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Jour 1 : Arrivée à l’aéroport de Pyongyang. Le bâtiment, qui a plutôt l’air d’un entrepôt, est bondé. Sur notre vol, une douzaine d’athlètes olympiques reviennent au pays. On devine, à l’accueil qui leur est réservé, qu’elles reviennent sans médaille. Vu l’achalandage, les douaniers sont expéditifs. «Cellphone?» «No.» «Ok». Fin de la discussion. Ma valise aurait pu sans problème être remplie d’affiches de propagande américaine et de DVD sud-coréens. D’autres, toutefois, ont dû ouvrir leurs valises.
L’aéroport de Pyongyang.
Nos guides nous attendent de l’autre côté des douanes. À partir de ce moment, ils ne nous quitteront (presque) pas d’une semelle. Il y a Miss Kim, une jeune femme de 22 ans. M. O, fils d’un diplomate et d’une chirurgienne qui souhaite suivre les traces de son père. Et M. Lee, marié, père d’un garçon et raconteur de blagues à ses heures.
Un autobus nous amène hors de Pyongyang, à Nampo, où nous devons passer la nuit dans un «spa». Par «spa», on entend une chambre avec un grand bain qu’on peut remplir d’eau chaude. Sur la route, l’autobus doit rebrousser chemin après s’être retrouvé devant un pont emporté par des inondations. La dizaine d’habitants, qui s’affairaient à reconstruire la structure, nous envoient la main.
Partout en bordure de la route, on croise des gens accroupis, des gens à vélo et des gens qui marchent: des écoliers, comme des travailleurs. À notre arrivée au Ryonggang Hot Spa, il fait déjà nuit. On nous sert une spécialité locale: des palourdes flambées à coup de bouteilles d’essence. À déguster entre deux grandes gorgées de soju «pour tuer les bactéries». Rassurant.
En plus du «spa», notre chambre est munie d’électricité (une chance à l’extérieur de Pyongyang où les coupures de courant sont nombreuses) et d’un téléviseur diffusant deux chaînes nationales.
Jour 2 : La journée débute par la visite du Nampo West Sea Barrage, un barrage long de huit kilomètres qui sépare la rivière Taedong de la mer de l’Ouest. Une vidéo sur la construction du barrage, qui fait l’éloge de l’esprit des ingénieurs nord-coréens et de la force des travailleurs, est présentée. On se rend ensuite à une usine d’embouteillage d’eau minérale. La production est arrêtée. On procède à l’entretien, nous dit-on.
Kim Jong-il accueille les visiteurs à l’entrée du West Sea Barrage.
En sillonnant la campagne, on comprend que la réalité est différente hors de la capitale. Les passants sont moins bien vêtus et les maisons, plus rudimentaires. On croise très peu de voitures. Ce qu’on nous montre n’est finalement pas très différent de la campagne chinoise. Les paysages, eux, sont magnifiques. Les champs de maïs et les rizières s’étendent à perte de vue jusqu’au pied des montagnes verdoyantes. On semble vouloir nous montrer que l’agriculture y est prospère. Pourtant, l’insuffisance de nourriture est une réalité que les guides ne démentent pas.
La campagne nord-coréenne.
Sur le chemin du retour vers Pyongyang, on emprunte une large autoroute à huit voies où les nids-de-poule sont plus nombreux que les voitures. Arrêt à la maison où Kim Il-sung a vu le jour. Un groupe d’écoliers fait la visite. On nous laisse les photographier. Ils sont réservés et très intimidés.
Des écoliers nord-coréens venus visiter la maison où Kim Il-sung a vu le jour.
À l’image de la ville, le métro de Pyongyang mise sur le tape-à-l’oeil. Si les trains sont vieux et modestes, les stations sont d’un luxe qu’on pourrait qualifier d’ostentoire. De grandes fresque à la gloire des travailleurs et du communisme, des statues de Kim Il-sung et des plafonniers aux lumières étincelantes décorent les stations. Sur le quai, des journaux de la presse officielles sont affichés. Ce jour-là, on vantait en Une la performance des athlètes nord-coréens aux Jeux olympiques de Londres. Performances qu’on diffusait en boucle sur la télévision installée dans le bar de l’hôtel Yanggakdo. Aucune mention toutefois du résultat du match de soccer opposant les États-Unis à la Corée du Nord. On tire nos propres conclusions.
Le métro de Pyongyang.
Dans le train, un haut-parleur diffuse aussi les informations. «Il parle du terroriste qui a été arrêté, nous dit Miss Kim. Un défecteur nord-coréen qui voulait détruire des statues de Kim Il-sung.» «Que va-t-il lui arriver?», je demande. «Je pense qu’il sera tué.» Honnête.
Après une visite de la place Kim Il-sung, où des écoliers répètent pendant des heures une chorégraphie pour un défilé de flambeaux devant avoir lieu le mois suivant, et une ascension de la tour du Juche, nous terminons la journée au stade May Day où sont présentés les Arirang Mass Games.
Les attentes sont grandes. Il s’agit selon plusieurs du spectacle le plus grandiose au monde. Environ 120 000 danseurs, gymnastes et écoliers y participent. À l’arrière-plan, des écoliers tenant des cartons de couleurs créent des fresques imposantes. Les participants répètent leurs numéros pendant des mois. Le résultat est incroyable. Le synchronisme est, à première vue, parfait. À ce sujet, un intéressant documentaire intitulé A State of Mind a été produit pour la BBC. Il est disponible, fragmenté, sur YouTube.
Un tableau des Mass Games.
Jour 3 : Visite de la zone démilitarisée, aussi appelée DMZ. C’est là où les deux Corées se font face, depuis la signature de l’armistice ayant mis un terme à la Guerre de Corée en 1953. On dit que c’est l’un des endroits les plus dangereux de la planète. Deux mois auparavant, je m’étais rendue du côté sud-coréen. La tension était forte. Pas le droit de pointer du doigt ou de faire quelque signe que ce soit en direction des soldats nord-coréens. Un code vestimentaire strict est aussi imposé, question de montrer au Nord la richesse du Sud.
De l’autre côté, l’atmosphère est étrangement plus décontractée. Chose qui arrive rarement, il y avait aussi des visiteurs du côté sud. Alors que nous agitions vigoureusement la main, eux n’étaient pas autorisés à lever le petit doigt. Un soldat nord-coréen s’est même fait prendre en photo avec le groupe. Deux morceaux de robot pour l’opération de relations publiques.
Panmunjom, dans la DMZ. Vue du côté sud à partir de la Corée du Nord.
On prend le dîner dans un restaurant de la ville de Kaesong. Les plus aventuriers essaient la spécialité locale: la soupe à la viande de chien. Conclusion: il paraît que ça goûte le boeuf. Il paraît, parce que j’ai évidemment refusé d’y goûter.
De retour dans la capitale, on nous amène déguster la bière de la microbrasserie Paradise avant d’assister à un spectacle d’écoliers au Mangyongdae Children’s Palace. Incroyable! Les numéros de chant, de danse et de gymnastique sont d’une qualité technique impressionnante. La salle est conquise.
Spectacle au Mangyongdae Children’s Palace.
En soirée, on se rend au tout nouveau parc d’attractions, inauguré par Kim Jong-un lui-même quelques semaines auparavant. Une foule de gens, dont beaucoup de soldats, attendent en ligne. On passe devant eux en éprouvant avec un malaise certain. «Ils comprennent, nous assure notre guide. Ils savent que vous payez plus cher qu’eux.» Quand même. Les signes d’un empoisonnement alimentaire, qui touchera plus tard plusieurs autres membres du groupe, commencent à se faire sentir. Merci aux soldats nord-coréens qui me sont venus en aide dans ce moment de détresse.
Jour 4 : Aujourd’hui, pas le droit de mettre de sandales. À moins d’y mettre des bas. Pour se rendre devant les grandes statues de bronze de Kim Il-sung et de Kim Jong-il, sur la colline Mansudae, il faut porter des souliers fermés. Tout le monde se met en rang. À go, quelques-uns d’entre nous vont déposer des fleurs au pied des statues. Quand tout le monde a réintégré le rang, on s’incline. Si se prosterner ainsi devant des dictateurs met mal à l’aise plusieurs étrangers, c’est un passage obligé pour quiconque visite la Corée du Nord. On répétera plus tard l’expérience devant le buste de la mère de Kim Il-sung au Cimetière des martyrs de la révolution. Je vous épargne ici la liste de tous les monuments qu’il nous a été donné de voir. Ils sont très nombreux et tous aussi imposants les uns que les autres.
On dîne dans une pizzéria (eh oui, on trouve de la bonne pizza à Pyongyang), puis on visite le USS Pueblo, un véritable trophée pour le régime. Ce navire espion américain a été capturé par la Corée du Nord en 1968. Le bateau a été transformé en musée où on y présente une vidéo historique, véritable petit bijou de propagande, dans laquelle on dénonce sans aucune subtilité les «impérialistes américains».
Ironiquement, c’est dans un salon de bowling, sport populaire chez les «impérialistes américains», que nous avons terminé ce séjour. Mon score? Ce qui se passe en Corée du Nord reste en Corée du Nord.
En vrac
> On revient de la Corée du Nord avec plus de questions que de réponses et avec des préjugés réduits en bouillie. Le stéréotype du peuple froid, peu accueillant et automate ne tient plus. Pas plus que la croyance répandue qui veut que tout rapport entre les étrangers et les « locaux » soit interdit. En raison de la barrière linguistique, les échanges sont évidemment brefs et superficiels. Mais, c’est un contact que plusieurs croyaient impossible.
> Les guides nord-coréens ne tentent pas de laver les cerveaux des Occidentaux. Ils tiennent cependant à exprimer leur point de vue et la version nord-coréenne des faits. «Vous êtes venus ici pour tenter de mieux comprendre, pour voir l’autre côté de la médaille, non?», demande M. O, devant nos objections à ses déclarations sur l’issue de la guerre de Corée (les Nords-Coréens parlent d’une défaite des Américains alors que le conflit s’est terminé par un armistice).
> Les guides nous suivent de près, mais s’ils vous font confiance, vous pourrez bénéficier d’une toute petite fraction de liberté. Au stade May Day, avant le début des Mass Games, j’ai pu quitter mon siège pour me rendre seule aux toilettes. Wouhou!
Vue de Pyongyang à partir de la tour du Juche.
> Pyongyang se développe pour souligner le 100e anniversaire de naissance de Kim Il-sung, m’explique Miss Kim. Des grues s’élèvent dans le ciel. Les ouvriers s’activent de nouveau autour de l’hôtel Ryugyong, dont la construction, interrompue pendant 16 ans, s’achève. Le bâtiment pyramidal de 330 mètres à l’allure futuriste ne fait plus la honte du régime. Il est plutôt l’objet d’une grande fierté.
> Ce qu’on nous montre est-il réel? La question nous hante encore. Notre autocar n’emprunte que quatre ou cinq artères où les bâtiments sont peints en rose et en vert, où des fleurs ornent les balcons et où tous les passants sont bien vêtus et en santé. On a l’impression de se trouver dans un grand village Potemkine ou dans Truman Show, ce film qui raconte l’histoire d’un homme dont la vie n’est qu’un gigantesque plateau de tournage. La frontière entre le réel et le spectacle est difficile à tracer.
> Même si on ne les voit pas, les violations des droits humains est malheureusement une réalité en Corée du Nord. Je dédie ce texte au défecteur que j’ai rencontré en mai dernier à Séoul. Si le sujet vous intéresse, voici deux suggestions de lecture: Nothing to envy par Barbara Demick et The Aquariums of Pyongyang, par Kang Chol-Hwan et Pierre Rigoulot.